Florence.
Vingt-troisième abbesse. 1223-1230. Elle commence à gouverner l’abbaye avant Pâques 1223 (N-S) et pour attirer sur son monastère les bénédictions du ciel elle fit une sainte société de prières avec l’abbé et les religieuses de Saint-Germain-des-Prés. Ces sortes de sociétés étaient fort en usage dans l’ordre de Saint-Benoît ainsi qu’il paraît par tous les nécrologes des abbayes tant d’hommes que de filles. A la mort de chaque religieux ou religieuse des maisons unies, on envoyait des lettres appelées rotulaires parce qu’elles étaient écrites en long rouleaux pour demander les prières convenues dans l’association. Quelques années après son élection, Florence et ses religieuses prièrent l’évêque de Chartres de régler un différent qui était entre elles au sujet de la présentation aux bénéfices. L’abbesse prétendait avoir seule le droit, les religieuses de leur côté, soutenaient qu’elles devaient y être appelées. Il fut réglé que l’abbesse ne pouvait présenter aucune nomination qu’après avoir eu le consentement de sa communauté; que si elle le refusait, celui que l’abbesse aurait nommé serait reçu pourvu qu’il eut les qualités requises. Le monastère de Chelles, outre les cures, avait six prébendes et six chapelles dont les revenus de ses petits bénéfices consistaient en 18 arpents de terre et vigne, 2 sols de rente et 9 setiers de blé. Les bénéficiers étaient logés dans un cloître séparé et avaient pain, vin, viande et potage. C’est ce qu’on nomme le pain de chapitre. En 1226, le monastère fut entièrement brûlé. Tous les ornements de l’église, l’argenterie et ce qu’il y avait de plus précieux fut réduit en cendres. Les religieuses étaient réduites à l’extrême misère. Elles se réfugient dans leur famille. Elle demande un abri à la charité publique. Mus par un sentiment de tendre passion, les abbés et les abbesses les plus illustres par leurs mérites firent une lettre circulaire la plus pathétique et la plus touchante et en laquelle ils exprimèrent par les termes les plus forts l’état désolant de cette sainte maison. Les abbés qui y souscrivirent furent ceux de Saint-Germain-des-Prés, de Saint-Denis-en-France, de Sainte-Geneviève, de Saint-Victor, de Saint-Magloire, de Saint-Maur-des-Fossés, de Livry, de Saint-Faron, de Rebais, les prieurs de Saint-Martin-Des-Champs, de Saint-Jacques-de-Paris, le prieur des frères mineurs et plusieurs autres. Les abbesses furent celles de Soissons, de Jouarre et de Faremoutiers, de Saint-Antoine-de-Paris, d’Hyères, de Saint-Rémy-de-Senlis, de Saint-Florentin et plusieurs autres. L’évêque de Paris s’intéressa également à ce grand élan de charité et, pour en développer le mouvement, il autorisa le transport, à travers la France, des saintes reliques qui avaient pu échapper aux flammes. Les offrandes furent généreuses. Elles suffirent au rétablissement du monastère. On commença par les bâtiments de première nécessité, les cellules d’abord, pour le logement des religieuses, les lieux réguliers ensuite, et enfin la réédification de l’église. A cette époque, l’art gothique atteignait sa perfection, les abbatiales s’élevaient avec leur riche architecture. Telle fut la nouvelle église de Chelles. L’église que l’incendie venait de détruire était celle à la construction de laquelle avait présidé Giselle, sœur de Charlemagne. La nouvelle église, construite sous l’administration de Florence, ne devait pas durer deux siècles et devait être détruite par le feu du ciel. Reconstruite sur le plan de l’ancienne basilique de Giselle, avec des proportions toutefois moins vastes, elle conserva autant que possible les parties épargnées par le feu. C’est une croix latine dont le sanctuaire forme la tête, la nef la longueur et le pied, et le transept les deux bras. Il y a des bas côtés. Autour du sanctuaire règne une galerie de chapelles absidiales avec des voutes surbaissées. La chapelle du chevet était sous le vocable de sainte Bathilde, où se réunissaient les membres de la confrérie érigée en son honneur. A droite et à gauche se trouvent les chapelles de Saint-Vincent, de Saint-Pierre, de Saint-Jean-Baptiste et de Saint-Jean-l’Evangéliste. Le déambulatoire était éclairé par de larges fenêtres basses, ornées de vitraux du treizième siècle, représentant les principaux actes de la vie du saint de chaque chapelle. Le jour arrivait d’en haut avec un second rang de fenêtres ogivales. Les deux bras du transept ont à peu près la même profondeur que le sanctuaire, c’est-à-dire deux travées de construction chacun. Au lieu d’être en droite ligne les deux pignons du nord et du midi offrent un plan oblique, d’après l’architecture du neuvième siècle , ce qui indique des restes de l’ancienne abbatiale. La nouvelle nef étant de trois travées, plus courte que l’ancienne, le portail roman était isolé dans la cour du couvent. Il a été conservé jusqu’au dix-huitième siècle et on peut en lire avec intérêts une description. Ce portail est tout à fait en demi-cercle ou anse de panier. Ce demi-cercle est subdivisé en deux. Dans l’un le sculpteur parait avoir voulu, représenter les travaux des hommes durant chaque mois et à l’autre les douze signes du zodiaque. Celui des poissons est très facile à remarquer. L’ouvrage de ce portail peut n’être que du dixième ou du onzième siècle (1). L’intérieur de cette nouvelle église est embelli de galerie à l’antique, d’un gothique grossier. Les vitrages sont colorés, comme ceux de l’abbaye de Saint-Denis ou autres églises du treizième siècle, c’est-à-dire d’un rouge très foncé. A cheval sur le milieu de la toiture de la nef s’élançait une belle flèche qui mesurait une hauteur de 200 pieds au dessus du sol. Dans le côté septentrionale de la croisée dans une chapelle dite de Saint-Eloi et de Saint-Benoît, près de l’autel, on y voit une tombe élevée de plus de deux pieds qu’on dit couvrir l’ouverture d’un caveau dans lequel est le tombeau du roi Clotaire III, fils de sainte Bathilde. Ce tombeau est plus étroit aux pieds qu’à la tête, tourné vers l’orient et par-dessous la figure d’un lion, il tient son sceptre de la main droite et sa gauche est posée sur l’agrafe de son manteau comme sont les représentations des anciens rois enterrés à Saint-Denis. Son épitaphe autour est en caractère gothique capitaux du treizième siècle. La reine l’avait fait inhumer dans l’église Sainte-Croix. On
Mathilde IV de Corbeil
Vingt-deuxième abbesse. 1220-1223. Mathilde de Corbeil occupait la charge de trésorière depuis 1198 avant d’être élevée aux fonctions d’abbesse. Elle était sœur du comte de Corbeil, de Pierre et Michel de Corbeil qui furent successivement archevêques de Sens, et grand-tante de Renaud ou Reginald de Corbeil, évêque de Paris. Elle régla le différend que son abbaye avait avec le prieur de Gournay au sujet de la pêche dans la rivière de Marne. Elle fit aussi régler le différend qu’elle avait avec les prétendus chanoines de Saint-Georges de Chelles. On prit pour arbitres Jacques, chanoine de Saint-Victor de Paris, le Pénitencier du Pape, le chapelain et le légat du Saint-Siège. Les chanoines demandaient : 1- qu’on leur donnerait tous les jours pour cinq deniers de vin. 2- qu’en Carême et en Avent on leur donnerait de meilleur vin que dans les autres saisons de l’année. 3- que leurs portions seraient égales à celles des religieuses et qu’ils seraient traités comme le couvent aux funérailles des morts. 4- qu’ils seraient soulagés de la sujétion ou ils étaient de dire tous les jours la messe quoiqu’ils eussent déjà une semaine libre dans chaque mois. 5- que le nombre des chanoines qui avaient été autrefois de seize et qui était diminué soit rétabli. 6- que les terres de Noisy-en-Gâtinais et de Berne avec tous les arrérages dont ils n’ont pas eu la jouissance depuis plusieurs années leur soient restituées. 7- que les prébendes dont le revenu est à présent fort modique seraient augmentées conformément aux décrets du troisième concile de Latran. 8- qu’aux vêtures et aux professions ils seraient traités comme les religieuses. 9- que les bois de Montcharon qui sont dans la forêt de Livry leur seraient laissés pour leur chauffage. 10- qu’ils auraient voix à l’élection de l’abbesse. 11- Enfin qu’on les dédommageât des pertes que l’abbesse et les religieuses leur avaient causées en renversant un autel qu’ils avaient commencé de faire construire dans l’église Saint-Georges et une réparation des injures et des mépris qu’ils avaient reçus en cette occasion. -L’abbesse et le couvent demandèrent que défenses fussent faites aux chapelains de prendre la qualité de chanoines mais seulement celle de clercs ou de chapelains. -Qu’il leur fut ordonné d’être plus assidus à l’office divin, aux professions des fêtes solennelles et des dimanches et de ne s’en point dispenser sans des causes légitimes. – Les juges arbitres prononcèrent sur les premier et second articles que la qualité et quantité de vin seraient égales en tous temps. -sur le troisième les clercs furent déboutés de leur demande. – sur le quatrième que les clercs diraient tous les jours la messe et que dans chaque mois ils auraient une semaine libre selon l’usage ordinaire. – sur les cinquième et sixième il fut réglé qu’à l’avenir il n’y aurait plus que six clercs, qu’ils ne seraient plus appelés chanoines mais chapelains et qu’ils seraient tous prêtres pourvus chacun d’une chapelle à mesure qu’elles viendraient à vaquer savoir les chapelles de Saint-Jacques, de Saint-Barthélemy, de Saint-Laurent, de Saint-Denis, de Saint-Thomas, et de Sainte-Madeleine. Que l’on partagera tous les revenus tant des chapelles que ce qu’on a coutume de leur donner en sorte qu’ils puissent avoir chacun quinze livres par an , que s’il arrivait que le revenu des chapelles vint à augmenter , l’abbesse aurait le pouvoir d’augmenter le nombre des prêtres à proportion. – sur le septième il leur fut défendu de jamais troubler le monastère dans sa jouissance des terres de Noisy et Berne. Que les chapelains n’auraient point d’autre sceau que celui de l’abbaye comme il s’était toujours pratiqué. Qu’ils n’entreraient point dans l’église de Saint-Georges et dans celle de Sainte-Bathilde durant l’office divin qu’avec leurs chappes fourrées de peaux. – sur le huitième qu’aux festins qui se feraient aux vêtures et aux professions des religieuses ils seraient traités comme le couvent. – sur les neuvième et dixième on impose silence aux chapelains et ils furent déboutés de leurs prétentions d’avoir voix aux chapitres pour les élections des abbesses. Il fut enfin défendu aux chanoines d’enterrer aucun corps dans le cimetière de Saint-Georges, de bâtir aucun autel dans l’église ni de faire aucune procession extraordinaire sans la permission de l’abbesse, étant censés être comme domestiques du monastère. Il leur fut cependant permis de jouir de six arpents de terre du domaine de l’abbaye sans payer aucun cens à la seigneurie. On attribue à cette abbesse la fin de la confection des quatre beaux cartulaires de l’abbaye et la dernière main aux règlements faits pour la nourriture des religieuses quoique commencé et en usage plusieurs années auparavant. Le père Martene remarque à l’occasion de ces statuts qu’on y assaisonnait les légumes avec de la graisse trois fois la semaine, les dimanches, les mardis, et les jeudis en quoi ajoute-t’il on était plus attentif à la règle à Chelles que dans d’autres couvents où on s’en servait tous les jours, en sorte que Pierre le Vénérable (Pierre était en 1223, chanoine de Champeaux et bailly de l’évêque de Paris) se crut obligé d’en interdire l’usage à cause du scandale des séculiers qui ne s’en servaient pas eux-mêmes les autres jours. On lit encore dans ces règlements que pour les grandes fêtes on accordait de la viande aux religieuses mais que l’on en servait que d’une sorte, excepté le jour de la fête de Sainte-Bertille que les religieuses en avaient en deux mets et le jour de la Sainte-Bathilde en trois. Mathilde de Corbeil mourut en 1223. (DOM PORCHERON, bibliothèque diocésaine de Meaux, TR 436.34. 326). (BERTHAULT, l’abbaye de Chelles, résumés chronologiques) (L’ABBÉ C.TORCHET, Histoire de l’abbaye royale Notre-Dame de Chelles)
Mathilde III de Berchère.
Vingt-et-unième abbesse. 1208-1220. Elle était déjà prieure du monastère quand elle fut élue abbesse. Sous son administration qui commence en 1208 et dont la prélature durera 12 ans, on constate plusieurs acquisitions : -L’évêque de Paris attribue aux religieuses de Chelles les novales de Montfermeil. -Les frères du temple leur cèdent une dîme qu’ils possédaient à Chelles. -Guillaume, seigneur en partie de Baron, et Émeline, sa femme, leur vendent la moitié de la mairie de la paroisse de Baron. -L’abbesse Flandrine de Malnoue, monastère de bénédictines, fondé vers 1125, à deux lieues de Chelles, qui avait le droit de prendre deux muids de blé sur la grange et seigneurie de Coulommes en fit une aumône au monastère de Chelles. -Mathilde III fit plusieurs échanges avec les abbayes de Saint-Faron et de Jouarre (1210, 1211, 1215). On pense qu’il s’agissait de Serfs ou hommes de corps. Les serfs étaient des hommes destinés et attachés à la culture de la terre. Ils n’étaient pas esclaves car leurs maîtres n’avaient pas de droit de vie et de mort sur eux, mais ils n’étaient pas libres. Ils vivaient sous la dépendance presqu’absolue de leurs maîtres. Des lois déterminaient les obligations du serf vis-à-vis du propriétaire et celles du propriétaire vis-à-vis du serf. C’était une pratique très ancienne que les fondateurs et bienfaiteurs des monastères par un sentiment de piété, outre les seigneuries et les terres qu’ils aumônaient, donnaient encore plusieurs hommes au monastère pour le servir, et ils en étaient tellement dépendants qu’ils ne pouvaient aller demeurer ailleurs sans la permission des abbés ou abbesses. Si les filles de ces hommes ainsi attachés aux abbayes se mariaient à des hommes d’autres monastères, les abbayes étaient obligées d’en rendre autant pour remplacer celles qui étaient pourvues ailleurs. Ces hommes servant à l’abbaye de Chelles étaient appelés hommes de Saint-Georges. Mathilde abrogea cette servitude si contraire à la liberté chrétienne, tout comme la reine Bathilde le faisait précédemment. – On note une vente de deux moulins, situés au-dessous de Champs et d’une maison près l’église Saint-André. – Enfin, le dernier fait que nous ayons enregistré sur l’administration de notre abbesse, c’est la juste réclamation du prieur de Mortcerf, au sujet de quelques pièces de vigne sises au territoire de Villiers-sur-Morin. Guillaume de Garlande avait disposé de ses vignes en faveur de Chelles mais ce bien ne lui appartenait pas. Il dépendait de Saint-Martin de Pontoise et l’abbé de ce monastère l’avait cédé au prieur de Mortcerf. Mathilde, de concert avec la communauté, se hâta de renoncer à un bien involontairement mal acquis. L’acte est daté de l’an 1218 et marqué du sceau de l’abbaye de Chelles où on lit autour : Sigillum Abbatissae et Domûs S.Bathildis Cal. Suivant le Gallia Christiana, Mathilde III mourut en 1220. (DOM PORCHERON, bibliothèque diocésaine de Meaux, TR 436.34. 326). (BERTHAULT, l’abbaye de Chelles, résumés chronologiques) (L’ABBÉ C.TORCHET, Histoire de l’abbaye royale Notre-Dame de Chelles)
Marie II de Néry
1206-1208 Vingtième abbesse. Elle ne fut abbesse que deux ans. Elle prit le gouvernement du monastère en1206 et mourut en 1208. Dans ce peu de temps, elle obtint du pape Innocent III deux bulles. Par la première le souverain pontife confirme de nouveau et fixe le nombre des religieuses de Chelles à quatre-vingt et défend d’en admettre de surnuméraire sans une permission express du Saint-Siège. Par la seconde, il abroge toute pension et en interdit de nouvelles comme contraires à la sainteté de leur vocation. Ce recours à l’autorité pontificale dans une matière aussi importante promettait de l’abbesse de Nery un gouvernement heureux et assorti au bon exercice de la profession monastique mais la divine providence y a pourvu dans celles qui lui ont succédée. On trouve encore, sous l’administration de marie de Néry, une donation faite en faveur du monastère, par Gauthier de Châtillon, en 1206, de toutes les dîmes de Messy et du huitième de celles du Pin. Puis une donation par Gaucher III de Châtillon, sire de Crécy-en-Brie, de vingt arpents de terre assis en la paroisse de Villiers-sur-Morin, en outre du droit de queste ou cens à queste sur les habitants de ladite paroisse (1205). Ainsi les religieuses de Chelles, à partir de cette époque, sont-elles reconnues pour Dames de Villiers-sur-Morin, avec droit de haute, moyenne et basse justice. Marie de Nery avait une sœur religieuse au monastère que son mérite éleva à la dignité d’abbesse vingt-quatre ans après elle sous le nom de Marguerite de Néry. Elles étaient de la maison des seigneurs de Nanteuil le Haudouin. (DOM PORCHERON, bibliothèque diocésaine de Meaux, TR 436.34. 326). (BERTHAULT, l’abbaye de Chelles, résumés chronologiques) (L’ABBÉ C.TORCHET, Histoire de l’abbaye royale Notre-Dame de Chelles)
Ameline II ou Émeline
Dix-neuvième abbesse 1190-1205 Émeline succéda à Marie de Duny. Elle eut pour assistantes dans l’administration du monastère, Mathilde de Berchère en qualité de Prieure, et Mathilde de Corbeil, en qualité de trésorière. Ces deux religieuses monteront à leur tour sur le siège abbatial. La première reçut, comme pension particulière destinée à ses besoins privés, 14 livres de rente annuelle, et la seconde en eut 12. C’était un abus contraire au vœu de pauvreté. A l’administration d’Ameline II se rapporte un acte qui devait être éminemment avantageux aux habitants de Chelles. En 1191, notre abbesse fit avec la léproserie de Gournay un traité par lequel cette dernière vendait aux religieuses, moyennant trente livres parisis, plusieurs maisons et pièces de terre situées à Chelles. Comme condition de cette vente, il était stipulé que les malades de Chelles seraient admis en la maladrerie de Gournay. L’administration d’Émeline paraît avoir été bien remplie. Elle augmenta notablement le temporel de son couvent et défendit avec énergie ses droits seigneuriaux. L’acte le plus important de son administration est la contestation qu’elle eut avec l’évêque de Paris. D’un caractère singulièrement opiniâtre et résolu, l’abbesse Ameline ne craignit pas d’engager avec son évêque diocésain une lutte qui dura deux ans, dans laquelle le pape dut intervenir comme arbitre et dont le Père Dubois, dans son Histoire de l’Église de Paris , nous a conservé le souvenir. D’après le droit canon, l’exemption est un privilège qui soustrait une église, une communauté séculière ou régulière à l’autorité de l’évêque. Toutefois les exemptions n’eurent jamais pour but de porter atteinte à la juridiction spirituelle des évêques sur les abbayes. Mais seulement de conserver leur liberté pour l’élection des abbesses, d’assurer le temporel et d’empêcher que l’évêque, allant trop souvent dans le monastère avec une suite nombreuse, ne troublât le silence, la solitude et la paix qui doivent y régner. A l’exemple des abbayes de Faremoutiers et de Jouarre, Chelles s’efforça d’obtenir les mêmes privilèges. Depuis les temps les plus reculés, les évêques de Paris avaient tenu pour certain que leur juridiction épiscopale s’étendait sur le monastère de Chelles. En effet l’évêque Erkanrad avait présidé à la translation du corps de sainte Bathilde , et les lettres du pape Innocent II attribuaient au titulaire du siège de Paris toute juridiction sur le dit monastère. Les évêques de Paris n’avaient donc aucun doute sur leur droit. Mais l’abbesse Ameline II, considérant que son monastère était de fondation royale, prétendit se soustraire à l’autorité de l’évêque. Néanmoins, avant de recourir au pape qui, dans ces matières, était l’arbitre suprême, les parties convinrent de soumettre leur différend à des juges qu’elles choisiraient amiablement et dont la décision ferait loi. En conséquence, l’évêque et l’abbesse, d’un commun accord, avaient choisi pour juges : Thibaud, évêque d’Arras; Étienne, évêque de Tournay; Hugues, abbé de Saint-Denis, et Robert, abbé de Saint-Germain-des-Prés. Il avait été convenu que leur décision serait acceptée sans appel, et que la partie qui ne s’y soumettrait pas serait passible de 50 livres d’amende. Maître Thomas, clerc de l’évêque, exposa que les papes Innocent II, Eugène III et Alexandre III avaient toujours attribué aux évêques de Paris toute juridiction sur l’abbaye de Chelles; que les abbesses de ladite abbaye avaient toujours été bénites par ces derniers; qu’elles s’étaient toujours soumises à la visite de l’évêque ou de son archidiacre et lui avaient payé le droit de procuration dont le maître Thomas rapportait un titre revêtu des sceaux des abbés de Saint-Denis et de Saint-Germain-des-Prés. L’abbesse Ameline, requise de faire sa déclaration sous la foi du serment, avait reconnu : 1) qu’elle avait été bénite par l’évêque de Paris; 2) qu’après avoir écrit de sa propre main sa profession de foi et l’avoir déposée sur l’autel, elle avait promis obéissance et sujétion audit évêque. En présence de la déclaration d’Ameline, les juges avaient donné gain de cause à l’évêque et déclaré que l’abbaye de Chelles, ne différant pas des autres abbayes, était soumise à la juridiction de l’ordinaire comme les abbayes de Montmartre, de Saint-Victor, de Saint-Magloire, des Fossés, de Hières et de Lagny. Mais au lieu de se soumettre à cette décision comme elle aurait dû le faire, l’abbesse, sans tenir compte de l’engagement formel qu’elle avait pris, se pourvut par voie d’appel devant la cour du roi; puis, sans attendre le résultat de son appel, eut recours au pape et fit partir immédiatement pour Rome maître Martin, chapelain de l’abbaye. De son côté, l’évêque y dépêcha maître Thomas, clerc de l’évêché. Après avoir entendu les allégations contradictoires des deux envoyés, le pape pensa qu’il ne pouvait mieux faire que de nommer trois arbitres qui feraient une enquête sur les lieux mêmes. A cet effet, il choisit pour juges, en dernier ressort, l’évêque d’Arras, l’abbé de Saint-Victor et le prieur de Saint-Martin-des-Champs. Par sa lettre apostolique, après avoir exposé longuement l’état de l’affaire, les allégations des parties et les considérants du premier jugement, le pape Célestin III, s’adressant à ses délégués, leur traça la mission qu’ils avaient à remplir et leur donna les pouvoirs les plus étendus pour terminer définitivement le différend. Les prétentions de l’abbesse n’étaient pas soutenables ; aussi les arbitres, après avoir pris connaissance de tous les faits de la cause et des titres produits par les parties, engagèrent-ils vivement Ameline à se soumettre. Ils pensaient, avec raison, que dans cette circonstance il convenait mieux à la dignité de l’abbesse de reconnaître spontanément son tort que d’attendre une condamnation inévitable. Déférant à ces sages conseils, Ameline, tant en son nom personnel qu’au nom de son couvent, ne fit aucune difficulté d’écrire la déclaration qui suit : « Nous, Ameline et tout notre couvent…….nous désistant des procédures commencées entre nous et l’évêque de Paris; serment duement prêté tant en notre nom qu’au nom de l’abbaye, par les mains d’Eudes Frontin, ….avons promis, sous péril de nos âmes, et promettons que nous tiendrons pour agréable et fidèlement observerons tout ce que notre seigneur Eudes évêque de Paris, Hugues doyen, Pierre chantre de l’église de
Marie Iere de Duny
Dix-huitième abbesse. Elle succéda à Asseline II en 1178. Marie, dit-on, aurait été chicaneuse et se serait absorbée dans de nombreux procès. Marie et ses religieuses eurent à souffrir beaucoup des calomnies de Raoul comte de Clermont, de Baudouin seigneur de Quesnel et de son fils. Cette épreuve fut très pénible à la communauté, mais elle en sortit avec honneur. Les coupables ayant reconnut leurs torts , s’efforcèrent de les réparer. Le premiers fit plusieurs donations, le second lui attribua une rente annuelle de 15 sols 4 deniers et 6 muids de blé. Elisande de Duny, proche parente de l’abbesse, lui envoya deux de ses filles, dont la vocation à l’état de religieuse avait été suffisamment éprouvée. Elles prirent le voile et prononcèrent leurs vœux et leur mère donna au monastère deux arpents de vigne, la terre de Chesmenais et la moitié du moulin de Thirel. L’autre étant déjà du domaine de l’abbaye. Gautier chambellan du roi Louis VII assista aussi à la consécration à Dieu de sa sœur Aveline, laissant pour offrande cinq sols et Josselin, père de la nouvelle professe, quinze autres de rente annuelle, somme assez considérable en ce temps là. Le comte de Soisson se joignit à ces bienfaiteurs en accordant à l’abbaye de Chelles le bien appelé La pierre blanche qu’il possédait entre Mitry et Maury. Ces donations sont toutes datées de 1178. Marie Iere aurait encouru l’excommunication. On sait que pour subvenir aux frais des Croisades, les évêques de France avaient résolu d’obliger tous ceux qui n’y participerait pas, à payer, sous peine d’excommunication, la dixième partie de leurs revenus et de leurs biens mobiliers. Cet impôt, destiné à soutenir la guerre contre le sultan Saladin, prit le nom de Dîme saladine. Mais on eut beau promettre les bénédictions du ciel à tout chrétien qui payerait dévotement et sans contrainte ce qu’on lui demandait au nom de J.-C., le clergé tant régulier que séculier se plaignit amèrement, allégua que le devoir des princes chrétiens n’était pas de ruiner l’Église, mais de l’enrichir des dépouilles de l’ennemi, et prétendit, en fin de compte, qu’il ne devait contribuer à la guerre que par ses prières. L’abbesse de Chelles aurait donc, comme tant d’autre, refusé de payer la dîme saladine. Et, pour ce fait, aurait été frappée d’excommunication. Mais, ayant écrit directement au pape, elle aurait obtenu que son excommunication fût levée, moyennant la promesse de payer immédiatement la somme à laquelle sa communauté avait été taxée. Marie mis fin à une autre querelle que lui avaient faite les frères du temple en 1183. Un fait plus consolant termina les dernières années de son administration. « Madame Marie abbesse de Chelles, l’an mil cent quatre vingt et cinq, en ce temps a esté faite la translation de Madame saincte Bertille, premiere abbesse de ce monastere Notre-Dame de Chelles sainte Beaulteur » Un parchemin déposé dans cette châsse, en l’an 1185, rapportait que la translation avait eu lieu le 26 mai sous Philippe-Auguste ; que l’évêque de Paris, Maurice de Sully, présida à cette cérémonie au milieu du grande affluence de fidèles, en présence de Marie de Duny, abbesse, Émeline, trésorière, d’Adélaïde d’Anet et de plusieurs autres personnes de qualité. On fit donc l’ouverture du sépulcre qui se trouvait sous l’église Saint-Georges; on recueillit les ossements sacrés, avec les habits de la sainte partiellement réduits en poussière; on transporta solennellement la châsse dans la grande église où elle fut placée à côté de celle de sainte Bathilde. Marie Iere de Duny mourut vers l’an 1190 laissant sa communauté dans une grande paix et dans une réputation de ferveur et de sainteté. (DOM PORCHERON, bibliothèque diocésaine de Meaux, TR 436.34. 326). (BERTHAULT, l’abbaye de Chelles, résumés chronologiques) (L’ABBÉ C.TORCHET, Histoire de l’abbaye royale Notre-Dame de Chelles)